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Géopolitique de l’intelligence artificielle
Pourquoi Microsoft prospère en Chine quand Google en est exclu.
Au cœur de l’ordre numérique mondial, la Chine s’impose aujourd’hui comme un acteur central dans le développement et l’encadrement de l’intelligence artificielle (IA). Pourtant, dans ce paysage technologique contrôlé par un État autoritaire, certaines entreprises américaines sont admises tandis que d’autres sont catégoriquement exclues. Pourquoi Microsoft, entreprise emblématique de la tech américaine, parvient-elle à maintenir une présence active en Chine à travers des produits comme Bing ou Xiaoice alors que Google y est banni depuis plus d’une décennie ? Cette situation résulte d’un faisceau complexe de choix stratégiques, de compromis politiques, de contraintes idéologiques et d’intérêts industriels.
Pour comprendre ce différentiel d’intégration, il convient d’analyser les dynamiques de pouvoir entre la Chine et la Silicon Valley. Les lignes rouges du Parti communiste chinois (PCC) en matière de souveraineté numérique, ainsi que les mécanismes de compromission technologique que certains acteurs acceptent là où d’autres les refusent.
Une césure idéologique d’origine : Google contre la censure
Tout commence en 2006, lorsque Google, désireux de conquérir le marché chinois, accepte de lancer une version locale censurée de son moteur de recherche. Mais rapidement, la situation dégénère. En 2009, le régime bloque l’accès à YouTube. En janvier 2010, Google annonce publiquement qu’il a été victime de cyberattaques sophistiquées attribuées à la Chine. Celles-ci visaient notamment des militants des droits de l’homme chinois utilisant Gmail. L’entreprise prend alors une décision rarissime dans l’histoire du capitalisme numérique : elle annonce qu’elle cesse de censurer ses résultats et redirige son trafic vers son moteur basé à Hong Kong.
Ce geste, salué comme un acte de courage par les défenseurs des libertés numériques, est perçu comme une déclaration d’insubordination par Pékin. En réaction, le « Grand Firewall » chinois, cet immense système de filtrage d’Internet bloque entièrement l’écosystème Google : moteur de recherche, Gmail, Maps, Drive, Google Docs, Android Play Store, YouTube, et même les outils publicitaires.
Depuis, Google a tenté un retour via des chemins détournés. Le projet Dragonfly, révélé en 2018, visait à créer un moteur de recherche conforme aux lois chinoises. Il a été abandonné sous la pression conjointe des employés de Google, des défenseurs des droits numériques et du Congrès américain. L’échec de Dragonfly a acté la rupture stratégique entre Google et Pékin.
Microsoft : une stratégie de coopération à long terme.
À l’opposé, Microsoft s’est installé en Chine dès 1992, avec une vision de long terme. En 1998, l’entreprise crée le Microsoft Research Asia (MSRA) à Pékin. Ce centre de recherche est devenu l’un des plus prestigieux laboratoires d’IA au monde. C’est là qu’ont été formés nombre d’acteurs clés du paysage chinois de l’intelligence artificielle. On y retrouve Kai-Fu Lee, futur président de Google China, ou encore les fondateurs de Baidu et SenseTime.
Microsoft a également accepté les compromis requis par le gouvernement chinois : hébergement local, filtrage de contenu, surveillance des activités suspectes, collaboration avec les fournisseurs d’accès contrôlés par l’État. Ainsi, Bing est le seul moteur de recherche étranger accessible en Chine, bien qu’il soit partiellement censuré et limité dans ses fonctionnalités. De même, l’assistant IA Xiaoice, développé à partir de technologies internes de Microsoft, a été progressivement « localisé » et transformé en société indépendante en 2020 (Xiaoice.ai), avec un siège à Pékin et une autonomie formelle.
Cette politique d’accommodement a permis à Microsoft d’ancrer ses produits dans l’économie numérique chinoise. Le système d’exploitation Windows est omniprésent, la suite Office est largement utilisée, et Azure — bien que sous forme contrôlée — est disponible via des partenaires locaux. À aucun moment Microsoft n’a affiché d’opposition publique aux pratiques chinoises en matière de censure ou de surveillance.